• e-atelier juin 2015

    Écrivez un texte contenant les mots suivants :

    désert, daguerréotype, ange, ellipse, octosyllabe, dodécaphonique, alternative, griot.

     

    Conseils pour un futur auteur-compositeur.

    Tu veux écrire une chanson, fais appel à la Muse, fais appel à ton Ange.

    N’utilise pas de mot ancien comme « naguère », car « naguère » est au type branché comme « caillou » pour Francis Cabrel.

    On impose souvent l’octosyllabe, il correspond au blues en 4 temps, mais si tu veux faire une valse, c’est 3 temps, c’est mille francs, et ça meurt au printemps.

    Tu vas raconter une vie. Tu vas disserter un instant. Tu auras des pages blanches comme des déserts, bleues comme des ciels d’été, griffonnées, raturées, biffées, un peu comme nos vies. Ecoute un jour un griot, il raconte les ancêtres, l’origine et l’histoire des hommes. Il va de la naissance à la mort, il effleure les enfants, il parle des naissances, des fêtes, des rendez-vous.

    Et si c’est une berceuse, elle commence par « Dodé » (gaffe au nique ta mère), c’est puéril et nos enfants sont futés.

    Tu éviteras, comme dans les films français de tout nous raconter : tu choisis ton héros et tu le laisses tranquille, tu pratiques l’ellipse, nous,  on sait bien qu’il a sorti ses clés, descendu l’escalier, mis de l’argent dans le parcmètre, pas la peine de nous la faire en détail !

    Un dictionnaire de rimes est une alternative, c’est quand même bien mieux quand ça sort de ta tête, ciboulette !

    A toi de jouer, compositeur ! Que  la rime soit légère, augmente parfois les pieds, ne reste pas coincé, imagine un voyage, tu dois nous transporter !

     

    Logette

     

    L’image est ternie, comme mangée par les mites du temps. Pourtant, on peut encore voir la femme en pied, posant à côté du griot. Ce daguerréotype est le seul souvenir palpable que je possède d’elle et de cet homme que je sais être de ma famille.

    La dame, mon arrière grand-mère, a été la première blanche à pénétrer dans ce village de brousse, à 35 km au nord de Libreville. Une dispute l’y avait poussée. Ou un chagrin d’amour. Ou les deux. Mon arrière grand-père, qui ne vivait que pour la foi, était pasteur. C’était un prêcheur né, disposition qui lui avait levé en échange toute compréhension du beau sexe. Il était un prodige de la foi, mais un infirme de l’amour. Lui qui passait toute son énergie à discipliner les nègres entendait que l’on marche droit dans son foyer. Ne pouvant être partout, il attendait de la part de sa femme, sa fille et son beau-fils un comportement exemplaire. Or, si sa fille et son gendre faisaient leur possible, son épouse avait un comportement tout à fait déplorable. Elle n'était ni sévère, ni directive. Elle ne guidait pas cette race inférieure vers l’ascension spirituelle qui lui entrouvrirait - peut-être - les portes du royaume de Dieu. Au contraire. Elle était proche des nègres. Elle souriait, touchait, parlait, demandait, apprenait, même, les rudiments de leur dialecte. Tout le contraire du missionnaire qui devait sévir, commander, enseigner le latin avec droiture et sans tendresse, faire entrevoir l’enfer pour créer en négatif, le paradis céleste. Et ne comprenant rien aux femmes, n’ayant aucune idée du sacrifice qu’il avait imposé à la sienne en lui faisant quitter la Touraine, ne soupçonnant même pas qu’elle  fut malheureuse dans ce pays étrange et que ces nègres lui apportaient le réconfort qu’elle ne trouvait plus chez les siens, il s’évertuait à vouloir la sauver d’elle-même. Châtiments physiques, réprimandes et menaces creusaient chaque jour davantage le fossé qui les séparait. Ils servaient le même dieu, mais où l’un était droit, sévère, dur, l’autre n’était qu’amour et compassion. Le 14 avril 1921 eut lieu la rodomontade de trop. Sentant sa femme lui échapper pour de bon, il la menaça de la punition suprême : l’excommunication. Mon arrière grand-mère, d’habitude silencieuse, sentit des ailes pousser à son verbe. Elle lui rétorqua calmement que, quitte à finir en enfer, où, en outre, elle se trouvait déjà, elle préférait que ce fut loin de lui. Elle prit une robe de rechange, un coutelas, une gourde, son sac à main, un chapeau voilé d’une moustiquaire, fit le détour par la mission pour dire à sa fille qu’elle l’aimait, puis s’en fut droit devant elle. Le pasteur prit pour une colère passagère ce qui était un divorce définitif. Cette femme ne devait jamais revoir son mari qui mourrait deux ans plus tard de la fièvre jaune. Lorsqu’elle l’apprendrait, elle se contenterait de trois pater et trois ave, sincères, pour la paix de son âme, et continuerait à vivre sans plus se soucier du paradis ou de l’enfer. Mais pour l’heure, elle marchait, toute drapée de colère noire, de rancune immense, sans autre alternative que celle de s’éloigner de la mission. Elle était en nage, soupesait sa gourde déjà vide et s’opposait des arguments solides pour rebrousser chemin, oublier sa lubie. Rien n’y faisait. Sa conscience n’était plus qu’une voix lointaine et ses jambes la portaient sans même qu’elle s’en aperçoive ; obéissant à une volonté propre. A l’orée de la jungle, devant un rideau vert d’une densité si extraordinaire qu’elle pensait ne jamais pouvoir aller plus avant, elle s’arrêta et sombra dans un sommeil sans rêve. Le lendemain, elle trouva la force nécessaire pour commander à ses pieds de reprendre leur marche et elle pénétra dans la brousse. Les esprits malins contés par les colons, les serpents, les insectes venimeux, les félins sans pitié, les plantes toxiques ne l’effrayaient plus. Quitte à être en enfer, elle entendait y prendre du bon temps. On n’a que les punitions que l’on s’inflige. La progression était lente, mais elle avait moins chaud que la veille. La canopée lui tissait une ombrelle parfaite.

    Elle mit trois jours avant de tomber sur la grappe de huttes de la tribu Burumbu. Si, à la mission, on l’avait mise en garde contre les dangers potentiels de la faune et de la flore exotiques, on lui avait strictement signifié que les hommes de la brousse étaient le diable personnifié et qu’en aucun cas elle devait s’en approcher, sous peine de voir son âme aspirée par leurs bouches immenses et son esprit mangé par leur verbe démoniaque. Quant à son corps, il serait dépecé sans même qu’on ait pris le soin préalable de le tuer, et sa tête serait réduite puis placée sur une pique pour servir de talisman occulte. A la vue des huttes, elle croyait encore à ces légendes ; pourtant, une seconde après, tout s’était envolé. Ses yeux venaient de se poser sur la plus belle femme portant le plus bel enfant jamais vus. Ils étaient tellement purs qu’ils en devenaient christiques. Ceux qu’elle avait devant les yeux pouvaient être des démons autant que des anges. Elle comprit en un instant qu’enfer et paradis étaient seulement une question de point de vue. Et qu’ils résultaient seulement de la peur, ou de l’absence de peur.

    La femme noire se retourna. Elle vit cette blanche échevelée au corps momifié dans ce qui lui semblait être un linceul et dont l’odeur était celle de la mort. Les légendes contées par les vieilles faisaient état de ce genre de rencontre. Ce qui se trouvait en face d’elle était un humain envoûté par un c’n’oculmbulé – un esprit malin capable des pires tortures. Un regard de ce djinn vous portait malheur sur trois générations, un seul geste pouvait détruire un clan entier. Elle n’avait pas idée de ce que cette femme avait fait pour mériter ce châtiment extrême. Mais elle était certaine qu’il fallait lui porter secours avant qu’elle ne périsse et que son âme à elle ne s’en trouve affectée. Car sous les cheveux fous se trouvait le visage le plus gracieux qu’il lui avait été donné de voir. Voilà comment la beauté fut à l’origine d’une amitié que nous savons profonde, puisque mon aïeule vécut 10 ans auprès de la femme noire et de tous les siens.

    Si nous récoltâmes force détails sur ce périple extraordinaire, nous n’avons en revanche jamais eu que le nom et le visage du griot pour tenter de nous construire un passé. La vieille est morte et à toutes nos questions demeurent seulement les réponses elliptiques qu’elle y apportait. Et pourtant nous étions en droit de savoir d’où nous venions vraiment. Nous aurions dû connaître les prénoms des ancêtres, et les rires et les rites... les octosyllabes de notre passé. Nous l’aurions mérité, nous, et notre peau noire.

    Flore

     

    Dodécaphonique : quel nom barbare ! sept notes qui se suivent, entrecoupées de cinq notes intermédiaires – cela me fait penser à une formule pas chère de voyage pour touristes âgés ! et portant voici une expression musicale des plus nobles, démocratique, chaque notre ayant le même droit d’être entendue, pas une qui domine l’autre, qui lui marche dessus pour être au mieux, une technique de composition récente, n’ayant pas d’histoire pesante à trainer au fil des siècles, quasi contemporaine !
    Mais voilà, que ce soit une formule magique dans le monde musical où chacun des douze sons de l’échelle chromatique a la même valeur, bien que voilà l’exemple parfait de ce que pourrait être la vie politique et sociale, je ne comprends pas mieux cette formulation que toutes les autres…je comprends le sens littéral mais pas musical, car je n’entends pas certaines notes : il manque des plages d’audition et la moindre dictée musicale a été une torture tout au long de mes jeunes années scolaires ; dans une vie antérieure, je n’aurais pas pu être un griot, incapable de transmettre oralement une mélodie sans fautes ! même les gens du désert n’auraient pas pu me considérer comme un ange assis sur l’ellipse du monde du silence… Bien que j’aie eu l’alternative de composer en octosyllabes sur toutes sortes de sujets, ma vie a été parsemées de regrets musicaux – ah, savoir jouer n’importe quel air, comme ça, sans partition, sur le piano, comme ça au violon… les regrets égrainent encore ma vie, regrets couleur sépia, un peu effacés, comme un daguerréotype, moins douloureux, tapis au fond de l’oreille…

    Nicoleg

     

    Assis autour d’un feu, perdu entre rochers et dunes, dans ce désert que nous avions choisi, pour, avec ce groupe nous retrouver. Renouer avec notre âme communiquer avec celles des autres, tutoyer les anges, être partie du tout.

    Le vent jouait doucement dans les cordages des tentes, les buissons d’épineux, les gorges toutes proches,  créant avec les murmures ou les cris d’animaux cette musique dodécaphonique enveloppante propre à ces lieux. Ces lieux, qui mis à nus par l’érosion, semblent alors habités par nos craintes et nos peurs.

    Alors le griot, qui avait rejoint la caravane, commença, en grattant ses deux cordes tendues sur une callebasse,  à nous  conter en  octosyllabes,  les histoires et l’Histoire du désert, inscrites dans l’ellipse du temps, tournant dans l’infini de l’espace. Litanie de l’improbable.

    Comme je regrettais de ne pas avoir d’alternative au numérique que j’avais en mains. L’argentique ou mieux encore les plaques de verre du célèbre daguerréotype aurait beaucoup mieux fixé à jamais ces moments magiques.

    Mais peut-on, peut-on immobiliser la magie?

     

    Gérard

     

    Petite ardoise suspendue au poignet de la porte, entrée libre. Je pénètre précautionneusement dans la petite boutique « Au bonheur des dames » qui se démarque par ses murs en  papiers peints et son haut plafond.

    Ellipse temporelle…

    A l’intérieur, tout le nécessaire pour broder, fils, aiguilles, tissus, jouets en bois et ustensiles de cuisine.

    L’espace est organisé autour d’un grand présentoir circulaire dédié aux objets du monde d’un autre siècle. Une longue vue en vermeil, une paire de jumelles pour le théâtre, une collection de fume cigarettes en ambre et écume de mer avec leurs étuis, une collection de malles anciennes avec coffres, valises à main et de décoration, coussins ornées de broches anciennes en émail et perles fines…

    Un recueil de poèmes de la Comtesse de Noailles ; je lis qu’il a été tiré de cette édition : soixante quinze exemplaires sur papier du Japon de la manufacture impériale, cinquante exemplaires sur papier de Chine… A la page 11, un poème, d’une douzaine de vers octosyllabes qui vantent l’Amour, la Mort.

    je voudrais bien qu'on départage

    le double voeu qui me combat :

    je souhaite ne vivre pas

    Mais je veux revoir ton visage !

     

    Certes, la mort est le seul lieu

    Qui convienne à ce corps trop triste

    Mais il faut encor que j'existe

    Je ne peux pas quitter tes yeux !                                                                

    (…)

    Mon œil se fige sur la Description antiquité « Boite à châles époque XIX° siècle ».Elle se compose de 2 petits tiroirs pour les gants. Ce coffre est en marqueterie de bois de violette, bois de rose et de loupe.

    Dans l’un des tiroirs un objet est empaqueté dans un amas de papiers et de ruban décoloré. Un beau daguerréotype représentant un portrait d’une jeune femme post mortem, la mort représentée de façon romantique dans un parterre de fleurs blanches.

    Le phonographe diffuse en fond sonore une musique dodécaphonique qui accentue le mystère de la photographie telle un ange simulant le repos.

    Je n’ai d’autre alternative que de continuer ce voyage hors du temps, en découvrant des visages africains et des ouvrages illustrés sur l’exploration du désert blanc d’Egypte. L’impression étrange que les griots sortent des croquis en sépia pour chanter les louanges des hommes libres…

     Liéko, le dimanche 14 juin 2015

     

     

    « Mon ange » dit le griot dans le désert, «  pas d’alternative : tu devras chaque matin, avant le grand départ,  écouter mon chant dodécaphonique, comme l’a décidé le dieu du temps, le dieu du pays des sables – pas d’alternative au destin de nos vies, qui tourne comme une ellipse autour du néant ; de notre brève rencontre il ne restera que ce daguerréotype couleur sépia dans une boîte précieuse portée sur l’éternité de ma peau sombre…écris-moi une ultime fois en octosyllabe, comme je l’ai appris dans ton pays, il m’en restera la douceur de ta voix au creux de ma conscience… ».

     

    Nicoleg


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